Poème par Eustorg De Beaulieu Période : 16e siècle
Le temps est changé grandement
Si chacun bien y considère
Et nul ne sait plus bonnement
Comme il se pourra contrefaire ;
On ne vit oncq telle misère ;
(Dieu nous veuille de pis garder !)
Car nul n’est qui craigne à méfaire
Contre Dieu ni ses père et mère
Chacun veut chacun gourmander.
On n’estime plus maintenant
Un homme, eût-il le sens d’Homère
S’il n’est riche et grands biens tenant
Quoi qu’il soit trompeur et faussaire.
Et ce sont ceux-là qu’on révère
Sans qu’on les ose brocarder,
Mais quelque pauvre de bon aire !
Soit noble, clerc ou mercenaire,
Chacun veut chacun gourmander.
Maints châtient tant doucement
Leurs enfants qu’enfin leur font faire
Maints jeûnes sans commandement
Et les chassent de leur repaire,
Et peut-on voir à vue claire
Tel enfant qui devrait téter,
Qui est jureur, menteur, trichaire ,
Ivrogne, orgueilleux, fier, austère ;
Chacun veut chacun gourmander.
Prince, notre cas ne vaut guère
Si nous voulons bien regarder,
Et c’est pitié de notre affaire
Voyant que, par grand impropère,
Chacun veut chacun gourmander.
Eustorg de Beaulieu