Épitaphe de Jehan Serre, excellent joueur de farces

Poème par Clément Marot
Recueil : L'Adolescence clémentine
Période : 16e siècle

Ci-dessous gît et loge en serre,
Ce très gentil fallot Jean Serre,
Qui tout plaisir allait suivant ;
Et grand joueur de son vivant,
Non pas joueur de dés, ni quilles,
Mais de belles farces gentilles,
Auquel jeu jamais ne perdit,
Mais y gagna bruit et crédit,
Amour et populaire estime,
Plus que d’écus, comme j’estime.

Il fut en son jeu si adestre
Qu’à le voir on le pensait être
Ivrogne quand il se y prenait,
Ou badin, s’il l’entreprenait ;
Et n’eût su faire en sa puissance
Le sage ; car à sa naissance
Nature ne lui fit la trogne
Que d’un badin ou d’un ivrogne.
Toutefois je crois fermement
Qu’il ne fit onc si vivement
Le badin qui se rit ou mord
Comme il fait maintenant le mort.

Sa science n’était point vile,
Mais bonne ; car en cette ville
Des tristes tristeur détournait
Et l’homme aise en aise tenait.

Or bref, quand il entrait en salle,
Avec une chemise sale,
Le front, la joue et la narine
Toute couverte de farine,
Et coiffé d’un béguin d’enfant
Et d’un haut bonnet triomphant
Garni de plumes de chapons,
Avec tout cela je réponds
Qu’en voyant sa grâce niaise,
On n’était pas moins gai ni aise
Qu’on est aux Champs Elysiens.

Ô vous, humains Parisiens !
De le pleurer, pour récompense,
Impossible est ; car, quand on pense
A ce qu’il soulait* faire et dire,
On ne peut se tenir de rire.

Que dis-je, on ne le pleure point ?
Si fait-on ; et voici le point :
On en rit si fort, en maints lieux,
Que les larmes viennent aux yeux ;
Ainsi en riant on le pleure,
Et en pleurant on rit à l’heure.

Or pleurez, riez votre soûl,
Tout cela ne lui sert d’un sou ;
Vous feriez beaucoup mieux en somme
De prier Dieu pour le pauvre homme.

(*) avait coutume

Clément Marot