Poème par Jean-Antoine De Baïf Recueil : Passe-tempsPériode : 16e siècle
La froidure paresseuse
De l’yver a fait son tems :
Voici la saison joyeuse
Du délicieux printems.
La terre est d’herbes ornée,
L’herbe de fleuretes l’est ;
La fueillure retournée
Fait ombre dans la forest.
De grand matin la pucelle
Va devancer la chaleur
Pour de la rose nouvelle
Cueillir l’odorante fleur ;
Pour avoir meilleure grace,
Soit qu’elle en pare son sein,
Soit que present elle en face
A son amy de sa main ;
Qui de sa main l’ayant ue
Pour souvenance d’amour,
Ne la perdra point de vue,
La baisant cent fois le jour.
Mais oyez dans le bocage
Le flageolet du berger,
Qui agace le ramage
Du rossignol bocager.
Voyez l’onde clere et pure
Se cresper dam les ruisseaux ;
Dedans voyez la verdure
De ces voisins arbrisseaux.
La mer est calme et bonasse ;
Le ciel est serein et cler ;
La nef jusqu’aux Indes passe ;
Un bon vent la fait voler.
Les messageres avètes
Font çà et là un doux bruit,
Voletant par les fleuretes
Pour cueillir ce qui leur duit.
En leur ruche elles amassent
Des meilleures fleurs la fleur :
C’est à fin qu’elles en facent
Du miel la douce liqueur.
Tout resonne des voix nettes
De toutes races d’oyseaux :
Par les chams des alouetes,
Des cygnes dessus les eaux.
Aux maisons les arondelles,
Aux rossignols dans les boys,
En gayes chansons nouvelles
Exercent leurs belles voix.
Doncques la douleur et l’aise
De l’amour je chanteray,
Comme sa flame ou mauvaise
Ou bonne je sentiray.
Et si le chanter m’agrée,
N’est ce pas avec raison,
Puisqu’ainsi tout se recrée
Avec la gaye saison ?
Jean-Antoine de Baïf