Que n’ai-je comme Bacchus

Poème par Christofle De Beaujeu
Période : 17e siècle

Que n’ai-je comme Bacchus
Cette puissance divine !
Jaloux, vous seriez vaincus
Par une feuille de vigne.
Ma Rozette me tiendrait,
Mais tout en votre présence,
Et douce me baiserait.
Que n’ai-je cette puissance ?

Je deviendrais beau raisin,
Elle, sans être aperçue,
Me mangerait grain à grain,
Devant sa mère déçue.
En raisin change-moi donc,
Ou en archet qui se plie.
Tel plaisir tu ne fis onc
A celui qui te supplie.

Fais-moi la puissance avoir
De ravir mon Érigone,
Pour mes jaloux décevoir.
Ce don-là, donne-moi, donne,
De grâce, donne-le-moi,
Ô Père dont l’abondance
Fait au poète et au roi,
Avoir la paix et science.

La même chose tu fis
Pour décevoir ta maîtresse :
Qu’ainsi donc je sois transmis,
Pour jouir de ma déesse.
Qu’est-ce que tu veux de moi
Pour guerdon de cette proie ?
Tes liqueurs déjà je bois,
Tous les jours, à pleine tasse !

Change donc pour mes amours
Mon corps en belle vendange,
Avant cela, tous les jours,
Je chanterai ta louange
Ô quel heur ce me serait
De la tenir toute nue,
Quand elle m’écraserait
Devant sa mère déçue !

Ce beau pied je laverais,
Et sauterais à sa face,
Son beau sein je baiserais
Devant la jalouse race.
Que ne suis-je en beaux raisins,
En une profonde cuve,
Échangé en ces bons vins
Qui lui serviraient d’étuve !

Pour toujours être content,
Cette vendange passée,
Je voudrais être sarment
En une masse entassée.
Tous les matins, je ferais
Une ardente et belle flamme.
Las ! comme je chaufferais
La chemise de Madame !

Christofle de Beaujeu