Poème par Léopold Sédar Senghor Recueil : Chants d'ombreThématiques : Guerre, PolitiquePériode : 20e siècle
Seigneur, vous avez visité Paris par ce jour de votre naissance
Parce qu’il devenait mesquin et mauvais
Vous l’avez purifié par le froid incorruptible
Par la mort blanche.
Ce matin, jusqu’aux cheminées d’usines qui chantent à l’unisson
Arborant des draps blancs
– « Paix aux Hommes de bonne volonté! »
Seigneur, vous avez proposé la neige de votre paix au monde divisé, à l’Europe divisée
A l’Espagne déchirée et le Rebelle juif et catholique a tiré ses mille quatre cents canons contre les montagnes de votre Paix.
Seigneur, j’ai accepté votre froid blanc qui brûle plus que le sel.
Voici que mon cœur fond comme neige sous le soleil.
J’oublie
Les mains blanches qui tirèrent les coups de fusils qui croulèrent les empires Les mains qui flagellèrent les esclaves qui vous flagellèrent
Les mains blanches poudreuses qui vous giflèrent, les mains peintes poudrées qui m’ont giflé
Les mains sûres qui m’ont livré à la solitude à la haine
Les mains blanches qui abattirent la forêt de rôniers qui dominait l’Afrique,
au centre de l’Afrique
Droits et durs, les Saras beaux comme les premiers hommes qui sortirent de vos mains brunes.
Elles abattirent la forêt noire pour en faire des traverses de chemin de fer
Elles abattirent les forêts d’Afrique pour sauver la Civilisation, parce qu’on manquait de matière première humaine.
Seigneur, je ne sortirai pas ma réserve de haine, je le sais, pour les diplomates qui montrent leurs canines longues Et qui demain troqueront la chair noire.
Mon cœur, Seigneur, s’est fondu comme neige sur les toits de Paris
Au soleil de votre douceur
Il est doux à mes ennemis, à mes frères aux mains blanches sans neige
A cause aussi des mains de rosée, le soir, le long de mes joues brûlantes.
Léopold Sédar Senghor