Poème par François-René De Chateaubriand Recueil : Poésies diversesPériode : 19e siècle
Le roi don Juan [1]
Un jour chevauchant
Vit sur la montagne
Grenade d’Espagne ;
Il lui dit soudain :
Cité mignonne,
Mon cœur te donne
Avec ma main.
Je t’épouserai,
Puis apporterai
En dons à ta ville
Cordoue et Séville.
Superbes atours
Et perles fines
Je te destine
Pour nos amours.
Grenade répond :
Grand roi de Léon,
Au Maure liée,
Je suis mariée.
Garde tes présents :
J’ai pour parure
Riche ceinture
Et beaux enfants.
Ainsi tu disais ;
Ainsi tu mentais.
O mortelle injure !
Grenade est parjure !
Un chrétien maudit
D’Abencerage
Tient l’héritage :
C’était écrit !
Jamais le chameau
N’apporte au tombeau,
Près de la piscine,
L’haggi de Médine.
Un chrétien maudit
D’Abencerage
Tient l’héritage :
C’était écrit !
O bel Alhambra !
O palais d’Allah !
Cité des fontaines !
Fleuve aux vertes plaines !
Un chrétien maudit
D’Abencerage
Tient l’héritage :
C’était écrit !
1. En traversant un paysage montagneux, entre Algésiras et Cadix, je m’arrêtai dans une venta située au milieu d’un bois. Je n’y trouvai qu’un petit garçon de quatorze à quinze ans et une petite fille à peu près du même âge, frère et sœur qui tressaient auprès du feu des nattes de jonc. Ils chantaient une romance dont je ne comprenais pas les paroles, mais dont l’air était simple et naïf. Il faisait un temps affreux ; je restai deux heures à la venta. Mes jeunes hôtes répétèrent si longtemps les couplets de leur romance, qu’il me fut aisé d’en apprendre l’air par cœur. C’est sur cet air que j’ai composé la romance de l’Abencerage. Peut être était il question d’Aben-Hamet dans la chanson de mes deux petits Espagnols. Au reste, le dialogue de Grenade et du Roi de Léon est imité d’une romance espagnole.
Chateaubriand