Fable par Jean-Pierre Claris de Florian Période : 18e siècle
Des singes dans un bois jouoient à la main chaude ;
certaine guenon mauricaude,
assise gravement, tenoit sur ses genoux
la tête de celui qui, courbant son échine,
sur sa main recevoit les coups.
On frappoit fort, et puis devine !
Il ne devinoit point ; c’ étoit alors des ris,
des sauts, des gambades, des cris.
Attiré par le bruit du fond de sa taniere,
un jeune léopard, prince assez débonnaire,
se présente au milieu de nos singes joyeux.
Tout tremble à son aspect. Continuez vos jeux,
leur dit le léopard, je n’ en veux à personne :
rassurez-vous, j’ ai l’ ame bonne ;
et je viens même ici, comme particulier,
à vos plaisirs m’ associer.
Jouons, je suis de la partie.
Ah ! Monseigneur, quelle bonté !
Quoi ! Votre altesse veut, quittant sa dignité,
descendre jusqu’ à nous ! -oui, c’ est ma fantaisie.
Mon altesse eut toujours de la philosophie,
et sait que tous les animaux
sont égaux.
Jouons donc, mes amis ; jouons, je vous en prie.
Les singes enchantés crurent à ce discours,
comme l’ on y croira toujours.
Toute la troupe joviale
se remet à jouer : l’ un d’ entre eux tend la main,
le léopard frappe, et soudain
on voit couler du sang sous la griffe royale.
Le singe cette fois devina qui frappoit ;
mais il s’ en alla sans le dire.
Ses compagnons faisoient semblant de rire,
et le léopard seul rioit.
Bientôt chacun s’ excuse et s’ échappe à la hâte
en se disant entre leurs dents :
ne jouons point avec les grands,
le plus doux a toujours des griffes à la patte.
Florian