Fable par Jean-Pierre Claris de Florian Période : 18e siècle
Dès la pointe du jour, sortant de son hameau,
Colas, jeune pasteur d’ un assez beau troupeau,
le conduisoit au pâturage.
Sur sa route il trouve un ruisseau
que, la nuit précédente, un effroyable orage
avoit rendu torrent : comment passer cette eau ?
Chien, brebis et berger, tout s’ arrête au rivage.
En faisant un circuit l’ on eût gagné le pont ;
c’ étoit bien le plus sûr, mais c’ étoit le plus long :
Colas veut abréger. D’ abord il considere
qu’ il peut franchir cette riviere ;
et, comme ses beliers sont forts,
il conclut que sans grands efforts
le troupeau sautera. Cela dit, il s’ élance ;
son chien saute après lui ; beliers d’ entrer en danse,
à qui mieux mieux, courage, allons !
Après les beliers, les moutons ;
tout est en l’ air, tout saute, et Colas les excite,
en s’ applaudissant du moyen.
Les beliers, les moutons, sauterent assez bien :
mais les brebis vinrent ensuite,
les agneaux, les vieillards, les foibles, les peureux,
les mutins, corps toujours nombreux,
qui refusoient le saut ou sautoient de colere,
et, soit foiblesse, soit dépit,
se laissoient choir dans la riviere.
Il s’ en noya le quart ; un autre quart s’ enfuit,
et sous la dent du loup périt.
Colas, réduit à la misere,
s’ apperçut, mais trop tard, que pour un bon pasteur
le plus court n’ est pas le meilleur.
Florian