La Fauvette et le Rossignol

Fable par Jean-Pierre Claris de Florian
Période : 18e siècle

Une fauvette dont la voix
enchantoit les échos par sa douceur extrême
espéra surpasser le rossignol lui-même,
et lui fit un défi. L’ on choisit dans le bois
un lieu propre au combat. Les juges se placerent :
c’ étoient le linot, le serin,
le rouge-gorge et le tarin.
Tous les autres oiseaux derriere eux se percherent.
Deux vieux chardonnerets et deux jeunes pinsons
furent gardes du camp, le merle étoit trompette.
Il donne le signal : aussitôt la fauvette
fait entendre les plus doux sons ;
avec adresse elle varie
de ses accents filés la touchante harmonie,
et ravit tous les coeurs par ses tendres chansons.
L’ assemblée applaudit. Bientôt on fait silence :
alors le rossignol commence.
Trois accords purs, égaux, brillants,
que termine une juste et parfaite cadence,
sont le prélude de ses chants ;
ensuite son gosier flexible,
parcourant sans effort tous les tons de sa voix,
tantôt vif et pressé, tantôt lent et sensible,
étonne et ravit à la fois.
Les juges cependant demeuroient en balance.
Le linot, le serin, de la fauvette amis,
ne vouloient point donner de prix :
les autres disputoient. L’ assemblée en silence
écoutoit leurs doctes avis,
lorsqu’ un geai s’ écria : victoire à la fauvette !
Ce mot décida sa défaite :
pour le rossignol aussitôt
l’ aréopage ailé tout d’ une voix s’ explique.
Ainsi le suffrage d’ un sot
fait plus de mal que sa critique.

Florian