Naissances

Poème par Aimé Césaire
Recueil : Cadastre
Période : 20e siècle

Rompue.
Eau stagnante de ma face
sur nos naissances enfin rompues.
C’est entendu,
dans les stagnantes eaux de ma face,
seul,
distant,
nocturne,
jamais,
jamais,
je n’aurai été absent.

Les serpents ?
les serpents, nous les chasserons
Les montres ?
les monstres – nous mordant
les remords de tous les jours
où nous ne nous complûmes – baisseront le souffle,
nous flairant.

Tout le sang répandu
nous le lécherons,
en épeautres nous en croîtrons,
de rêves plus exacts,
de pensées moins rameuses.
Ne soufflez pas les poussières,
l’anti-venin en rosace terrible équilibrera l’antique venin ;
ne soufflez pas les poussières ;
tout sera rythme visible,
et que reprendrions-nous ?
pas même notre secret.
Ne soufflez pas les poussières
une folle passion toujours roide étant ce par quoi tout sera étendu,
ce seront plus que tout escarboucles émerveillables
pas moins que l’arbre émerveillé
arbre non arbre
hier renversé

et vois,
les laboureurs célestes sont fiers d’avoir changé
ô laboureurs labourants
en terre il est replanté
le ciel pousse
il contre-pousse

arbre non arbre
bel arbre immense
le jour dessus se pose
oiseau effarouché

Aimé Césaire