Grand sang sans merci

Poème par Aimé Césaire
Recueil : Ferrements
Période : 20e siècle

du fond d’un pays de silence
d’os calcinés de sarments brûlés d’orages de cris retenus
et gardés au museau
d’un pays de désirs irrités d’une inquiétude de branches
de naufrage à même (le sable très noir ayant été gavé de silence étrange
à la recherche de pas de pieds nus et d’oiseaux marins)
du fond d’un pays de soif
où s’agripper est vain à un profil absurde de mât totem et de tambours
d’un pays sourd sauvagement obturé à tous les bouts
d’un pays de cavale rouge qui galope le long désespéré
des lès de la mer et du lasso des courants les plus perfides

Défaite Défaite désert grand
où plus sévère que le Kamsin d’Égypte
siffle le vent d’Asshume

de quelle taiseuse douleur choisir d’être le tambour
et de qui chevauché
de quel talon vainqueur
vers les bayous étranges
gémir se tordre
crier jusqu’à une nuit hagarde à faire tomber
la vigilance armée
qu’installa en pleine nuit de nous-mêmes
l’impureté insidieuse du vent

Aimé Césaire