Le Boeuf, le Cheval et l’Ane

Fable par Jean-Pierre Claris de Florian
Période : 18e siècle

Un boeuf, un baudet, un cheval,
se disputoient la préséance.
Un baudet ! Direz-vous, tant d’ orgueil lui sied mal.
à qui l’ orgueil sied-il ? Et qui de nous ne pense
valoir ceux que le rang, les talents, la naissance,
élevent au-dessus de nous ?
Le boeuf, d’ un ton modeste et doux,
alléguoit ses nombreux services,
sa force, sa docilité ;
le coursier sa valeur, ses nobles exercices ;
et l’ âne son utilité.
Prenons, dit le cheval, les hommes pour arbitres :
en voici venir trois, exposons-leur nos titres.
Si deux sont d’ un avis, le procès est jugé.
Les trois hommes venus, notre boeuf est chargé
d’ être le rapporteur ; il explique l’ affaire,
et demande le jugement.
Un des juges choisis, maquignon bas-normand,
crie aussitôt : la chose est claire,
le cheval a gagné. Non pas, mon cher confrere,
dit le second jugeur, c’ étoit un gros meûnier,
l’ âne doit marcher le premier ;
tout autre avis seroit d’ une injustice extrême.
Oh que nenni, dit le troisieme,
fermier de sa paroisse et riche laboureur ;
au boeuf appartient cet honneur.
Quoi ! Reprend le coursier écumant de colere ;
votre avis n’ est dicté que par votre intérêt !
Eh mais ! Dit le normand, par qui donc, s’ il vous plaît ?
N’ est-ce pas le code ordinaire ?

Florian